Le rapport qui embarrasse les pompiers….

Les pompiers sont beaux, forts et courageux. Mais, question efficacité, c’est autre chose. Car les héros préférés des Français ne sont pas à la hauteur de leur réputation. Appels téléphoniques au 18 qui se perdent, délais d’intervention à géométrie variable, effectifs et matériels insuffisants, coordination avec les Samu déplorable : c’est toute l’organisation des secours en France qui est à revoir, selon Jean-François Schmauch, ancien colonel des sapeurs-pompiers et auteur d’une thèse de doctorat percutante (1). « Chaque jour, dans tout le pays, des gens que l’on pourrait sauver meurent faute d’un dispositif de secours adapté », assène cet ex-ingénieur lorrain de 60 ans, après vingt-trois ans passés sous l’uniforme. « Aucun texte réglementaire n’encadre l’intervention des services d’urgence, constate Jean-François Schmauch. On ne trouve nulle part d’indication de délais à respecter pour répondre aux appels téléphoniques ou pour l’arrivée des premiers secours. Alors, chaque département fait un peu ce qu’il veut. »

Les exemples de dysfonctionnement ne manquent pas. Cela commence avec le téléphone. Appeler les pompiers relève parfois de la gageure. Ainsi, à Marseille, le 14 juillet, entre 23 heures et minuit, près de la moitié des 900 appels téléphoniques au numéro 18 n’ont pas débouché. Le numéro d’urgence était saturé. La quasi-totalité des demandes relevait heureusement de cas sans gravité. Mais combien de détresses vitales ont-elles été passées à la trappe ?

Ensuite, il faut attendre l’arrivée du camion rouge, alors que le sang coule ou que l’incendie fait rage. « Le week-end ou la nuit, dans certaines casernes, il arrive que le premier engin parte un quart d’heure après l’appel », avoue un pompier. Reste à atteindre la victime, située parfois à près d’une demi-heure de route de la caserne. Pourtant, les sauveteurs savent bien que, face à une urgence vitale, une intervention dans les dix premières minutes est essentielle.

Des situations impensables chez nos voisins, explique Jean-François Schmauch. « Ces pays ont des textes qui imposent des objectifs de performance très stricts tant au niveau des appels que des délais d’intervention. » Outre-Manche, il faut moins de trois secondes pour répondre à 90 % des appels sur un numéro d’urgence. En Allemagne, chaque commune est obligée d’avoir sa propre caserne de pompiers, et chaque citoyen doit pouvoir être atteint par une ambulance en moins de huit minutes.

Les pompiers londoniens du Fire London Service n’ont d’ailleurs pas peur d’afficher leurs résultats. En 2006, 63 % des premiers engins de lutte contre le feu sont arrivés sur les lieux des sinistres en moins de six minutes et, dans 93 % des cas, deux engins étaient sur place en moins de dix minutes.

Les performances des services incendie ne sont pas le seul souci de nos voisins. Ils se préoccupent également beaucoup du matériel. Les textes allemands définissent avec précision le nombre et le type d’engins devant équiper les casernes. « Nous aussi, sourit Jean-François Schmauch. Nous avons trois textes magnifiques datant de 1969, 1981 et 1988, qui décrivent les équipements a minima des centres de secours. Mais on ne les a jamais appliqués. » Le parc actuel de véhicules de secours compte 18 495 engins, quand la stricte application des textes réglementaires en exigerait 35 200. Et encore, la plupart ont en moyenne 20 ans d’âge. Dans le plus petit centre de secours en Suisse, en Autriche ou en Allemagne, le véhicule le plus âgé n’a pas plus de 8 ans.

Incompréhensions et cafouillages.

Du côté des effectifs, ce n’est guère mieux. Jean-François Schmauch a fait ses calculs. Avec 200 000 volontaires, 38 000 professionnels et 12 000 militaires, les pompiers français sont seulement 49 pour 100 kilomètres carrés. Une densité qui les place au douzième rang européen, loin derrière l’Allemagne et son million de volontaires (346 pompiers), l’Autriche (346) ou la Slovénie (324).

Autre point noir, la coordination entre pompiers et Samu fonctionne mal. Au centre des débats, la procédure qui oblige les pompiers à basculer tout appel pour une urgence médicale vers le centre 15, qui seul peut décider d’une intervention. Avec à la clé délais d’attente supplémentaires pour la victime, incompréhensions et cafouillages entre les services. Il faut dire qu’entre les « rouges » du 18 et les « blancs » du 15, ce n’est pas l’entente cordiale, les premiers accusant les seconds de vouloir régner sans partage sur les missions de secours aux personnes sans en avoir les moyens. Ce que confirme l’ancien colonel Schmauch dans sa thèse : « Les moyens dont disposent les Samu et les Smur ne leur permettent d’intervenir, sans l’aide des pompiers, que sur moins de 8 % du territoire. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les pompiers assurent chaque année 2,5 millions interventions d’urgences extra-hospitalières, sur un total de 3,5 millions.

Pour Henri Masse, directeur de la Sécurité civile, le travail de Jean-François Schmauch est « dépassé. Il y a certes des insuffisances dans notre dispositif, mais nous nous adaptons en permanence pour l’améliorer. D’ailleurs, nous mettons en place des indicateurs d’efficacité. Mais il est impossible d’imposer des critères au plan national » . Pas question, donc, d’envisager de réforme d’envergure. Ce que regrette l’ancien colonel Schmauch. « En France, tout le monde aime les pompiers. Mais attention ! cela pourrait ne pas durer », prévient-il. Signe des temps, entre 1996 et 2006, le nombre de procédures pénales impliquant des pompiers est passé de 19 à 621. En 2002, le colonel Mené, en poste au sein de la Direction de la Sécurité civile, avait prévenu : « Le temps viendra sans doute où les organisations de consommateurs pointeront les inégalités dans la distribution des secours. »