Une nuit au Cs Vion avec la dépêche….

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Reportage avec les soldats du feu de la caserne Vion à Toulouse, la plus grosse de la région (la dépêche).

Caserne Vion, rive gauche de Toulouse, près de Saint-Cyprien. La plus grosse de Midi-Pyrénées en nombre d’interventions. L’une des grosses casernes françaises.

150 sapeurs-pompiers professionnels, qui assurent des gardes de 24 heures tous les trois jours, et réalisent près de 11 000 sorties par an.

Jeudi dernier, 20 h 30, les hommes finissent leur repas. Ils sont 35 à travailler en cette nuit glaciale. Après avoir fait leur vaisselle, certains partent à la salle commune, voir le match du TFC, d’autres montent discuter au bocal, une pièce largement vitrée qui donne sur les allées Charles de Fitte et où arrivent les appels d’urgence. Ceux qui sont logés sur place sont déjà dans leurs appartements, leur bip à la poche. Tous doivent être prêts à décaler (partir en intervention) au plus vite.

Dans le hangar, les véhicules d’interventions sont prêts, eux aussi. Rechargés en eau, en matériel de secours, pleins faits et batterie en charge. Une grande échelle, des fourgons pompe-tonne contre les incendies, des ambulances, un hors-bord, un véhicule d’interventions diverses…

Ce soir le chef de garde est le lieutenant Patrick Rieu. À 48 ans, il a gravi les échelons petit à petit. À ses côtés, en appui, le lieutenant Thierry Belaud, 30 ans de pompiers dont 8 ans à Vion. «Je suis venu à Toulouse pour connaître une bonne activité opérationnelle. J’ai été servi !». L’homme aime parler. Il entreprend quelques hommes présents. «Vous étiez là pour AZF ?». LA référence. «Ça a été très marquant pour les pompiers, ça a changé notre façon de voir les choses. À l’époque on disait, quand l’ONIA pétera, faudra être de repos».

La fascination du feu

Hormis des catastrophes de ce type, le Graal pour un pompier, c’est le feu. «On est avant tout des soldats du feu, on aime faire un bon feu». Celui qui a prononcé ces mots marque un temps d’arrêt, et se reprend. «Bon, ça pourrait être mal interprété comme termes, surtout pour celui qui a tout perdu dans un incendie, mais c’est vrai que le feu nous fascine, même si ça peut nous prendre la vie».

Le débat reprend, sur les techniques d’approche du feu, sur les Allemands qui ne font pas comme nous, ou sur ces progrès d’architecture qui rendent les feux d’appartements plus dangereux, «car tout est cloisonné, et fait risquer l’embrasement généralisé à l’ouverture de la porte».

Les pompiers peuvent parler des heures de leur métier. Leur passion. Et ils vivent d’autant plus mal leur rapport avec la société qui a changé. «Aujourd’hui les gens se poussent à peine pour nous laisser passer sur la route. Il y a 20 ans, les gens qui nous insultaient restaient à 200 m. Désormais ils nous font face, prêts à nous taper».

Hommes à tout faire

Les soldats du feu ont aussi l’impression d’être parfois bons à tout faire. «Comme on est très polyvalents, les gens nous appellent lorsqu’ils n’ont plus de solution. Presque pour une ampoule à changer…». Laurent confirme, sous forme d’ironie : «Avant, nos ambulances c’étaient des véhicules de secours aux asphyxiés et blessés (VSAB). Maintenant ce sont des VSAV, d’Assistance aux Victimes, parce qu’on peut être victime de tout et de rien, d’une crise d’angoisse ou de la mode».

Il est 23 heures, la soirée est très calme, la dernière sortie remonte à 19 h 30. Ceux qui regardaient le foot dans la salle télé viennent de remonter. «Vous avez vu, Nelson Mandela est mort !». Laurent n’a pas entendu. «C’est Nelson qui, qui est mort ?». «Nelson Montfort !». «Ah bon ? !». Quelques taquineries sont échangées. Les pompiers du cru taclent les parisiens expatriés. Les pompiers aiment bien se chercher, plaisanter.

Minuit, le standard reste muet. Tant mieux pour les Toulousains, tant pis pour moi. «Vous êtes un chat blanc vous, ça fait longtemps qu’on n’avait pas eu de nuit aussi calme» sourit le lieutenant Rieu. «Notre record, c’est 54 sorties en 24 heures Les soirs de pleine lune ou de vent d’Autan, on bosse plus, comme pour les soirées étudiantes». Étudiants, le mot est lâché. Tous se mettent à parler de l’alcoolisation des jeunes, de ces discothèques qui déstockent les verres d’alcool à 1 €, de la place Saint-Pierre où «les ambulances restent sur le pont et où on va chercher les blessés à pied» à cause d’une foule pas toujours accueillante, ni compréhensive. Les plus âgés disent la dureté du métier. Les ruptures de rythme, le sommeil morcelé, les journées de 24 heures, «c’est dur quand on vieillit, on récupère moins vite». Il est d’ailleurs 1h passée, Patrick Rieu tire sa révérence. Il reste Christophe, Laurent, Fabrice. Ils parlent de leur engagement dans ce métier, l’envie d’être utile, l’esprit de groupe, l’entraide. Leurs proches, leur famille ont rarement sauté de joie en apprenant leur choix de métier. Certains arrivent à déconnecter complètement quand ils rentrent chez eux. Pas possible pour d’autres.

Réveillé dans la nuit

Il est 2 heures du matin, le standard est toujours aussi apathique. Tout le monde part se coucher. Un lit étroit dans une chambre de garde. Se déshabiller ou pas ? La réponse sera négative, trop peur de rater un hypothétique départ.

Celui-ci viendra à 3 h 20. Un bip sonne dans la nuit. Le lieutenant Rieu tape à la porte. «C’est un feu de voiture, le fourgon part, on le suit».

Direction Bagatelle, les rues sont désertes, le gyrophare bleu se reflète sur les vitrines de quelques magasins. On commence à apercevoir un brasier. «Il y a plusieurs voitures, deux ou trois» estime Patrick Rieu. Trois effectivement, flambant au pied d’une barre d’immeuble. Encadrés par deux voitures de police, les pompiers déroulent leurs tuyaux et commencent à arroser abondamment. «On ne va pas rester trop près, vu la configuration de la rue, on pourrait se faire coincer si ça tournait mal». Le calme est pourtant total. Presque désolé, le lieutenant conclut : «C’est terrible, mais on est obligé de réfléchir comme si on était en guerre…»

Retour à la caserne. Il faut refaire le plein – en eau – du camion, et passer par la case paperasse. Le chef d’agrès, les cheveux encore aplatis par le casque et l’odeur du brûlé accroché à la veste, tape son rapport sur l’ordinateur. Il est 4 h 15. «Je vais essayer de me rendormir, mais c’est pas gagné». Son réveil sonnera à 6 h 30. À 7 heures, une autre équipe prend la relève. Pour une nouvelle journée. De 24 heures